samedi 1 janvier 2000

Autoroute

L'autoroute du Sud. Des bagnoles coquilles d'escargots
Elles viennent du Nord de ses corons et même d'Amsterdam
Leurs culs rasent le sol. Leurs galeries des sacs à dos
Charrues socs en érection prêtes à labourer la macadam

Ces routards d'occasion attirés par leur bled
Des montagnes magnétiques puissants aimants
Des villages nids d'aigles agrippés à leurs flancs raides
Mouroirs en ruine. Hospice pour vieux migrants

Ils sont partis pour qu'un jour ils rapportent de quoi construire
Une maison pour leurs mômes puis tranquillement vieillir
Taper le domino, élever des chèvres et des moutons
Ils sont souvent revenus seuls avant l'âge, les pieds devant.

Quand l'été arrive la Kabylie sourit.
Ses enfants nés à Sidi Bel Abbés, Paris ou ailleurs
Viennent pour la première fois. A l'âge de vingt ans parfois
Des bombes d'amour. La main sur le cœur

Une nuée de criquets. Vers la rivière, les champs ils foncent
Bouffent des figues pas mûres jusqu'à la diarrhée
Rentrent le soir nazes égratignées par les ronces.
Les griffes de cette terre qui ne voudrait plus les lâcher

Ces mômes croient reprendre racine que le béton du Nord a sciée
A coups de cités. A coups d'usine. Trop tard y'a plus d'engrais
Une avalanche de fraîcheur qui déboule dans les traditions
Les vieux chênes ferment les yeux. Ca ne durera qu'un moment

Parce que l'automne arrive vite et c'est le cauchemar
Les valises vidées et la jeunesse vont reprendre l'avion
On met les voitures, l'amour, la tendresse au rencard
On changera de pays sur un tapis de coton

Dans ces aubes quand la séparation claironne
Le soleil se porte pâle. Les larmes sont la rosée du matin
Personne n'accuse plus rien. Personne n'accuse plus personne
On se réchauffe avec Inch Allah et le mot destin

Le vent souffle et mugit. Sanglots du vieux pays
La déchirure implacable affûte ses dents
La tête de Lala Khadija la montagne blanchit
Comme les espoirs de retour de tous ces partants

Khadija a rêvé détruire les avions, les vélos, les bateaux
Les trains, les bus, les bagnoles pour garder ses enfants là haut
Les dorloter l'hiver, leur mentir que les blés pousseront
Sur ses flans stériles. Personne ne l'a crue évidemment.

Ceux qui restent rentrent le fourrage, le bois et pressent l'huile
Le bled sent l'olive. Les burnous sortent
Ils renforcent les toits. Ils posent des pierres sur les tuiles
Stockent les souvenirs. Silence ! Ils vont fermer les portes

Pourquoi je remue tout ça ? Je pensais que pour moi c'était fini.
Mais parce que les gamins de là bas rêvent de se tirer aussi
Aujourd'hui l'école de la vie leur apprend que l'espoir
C'est que cent francs français égalent mille quatre cents dinars

Et puis il y a les frangins absents. Leurs valises mal ficelées
Éclatent à Caracas, à Montréal. Sur les quais s'étalent leurs fringues sales fripées
Dans leur sacs de couchage leur rêves se sont engloutis
Ils font la grasse matinée avec Madame de La Folie

Pluie sur mes yeux pare-brise. C'est la neige de là haut qui fond
Mes paupières des essuie glace. J'appuie sur le champignon
Je ne vais pas à la frontière. Moi aussi je serai absent
Je quitte l'autoroute à Tours. Voir Pauline mon amour.

Copyright © 1985

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