Des mots féminins

Dans le resto antillais
Tu avais mis le jasmin
Du marchand pakistanais
Dans la bouteille de vin

On se racontait l'Algérie
Que tu venais de quitter
Ce que tu faisais à Paris
Et ton statut de réfugiée

Tu m'as reparlé de cette guerre
Où des frangines sont tombées
Elles qui rêvaient d'une terre
Où pousserait l'égalité

Mais des adjudants, pendant
Qu'ils se bouffaient le pays
Ils mentaient aux garçons :
C'est la femme l'ennemie

Mais tous ces hommes perdront
Un jour ou l'autre. C'est certain
Révolte et révolution
Seront toujours des mots féminins

Ils ont dit à ces mômes
Pour qu'ils oublient leurs guenilles
Si tu veux devenir un homme
Lis le code de la famille

Ils leur ont raconté
Que tu es le mal sur terre
Et ta sensualité
Le feu terrible de l'enfer

Ces fils maintenant veulent cacher
Ta beauté sous un voile
Faire de la vie comme leurs aînés
Une nuit sans étoiles

Mais tous ces hommes perdront
Un jour ou l'autre. C'est certain
Révolte et révolution
Seront toujours des mots féminins

A Paris, toute cette douleur
Dans les romans dans les films
Des rôles écrits pour nos sœurs
Te faisaient gerber d'être victime

Elles n'étaient que des héroïnes
Sans sexe, sans humour
Éternelles clandestines
De toute histoire d'amour

« Adoptez un Algérien ! »
Cette annonce t'a fait craquer
Dans la rubrique des chiens
Dans cet hebdo de notre côté

Tu t'es retrouvée coincée
Entre le danger de là bas
Ou ici la pitié
Une place à la S.P.A.

Mais tous ces hommes perdront
Un jour ou l'autre. C'est certain
Révolte et révolution
Seront toujours des mots féminins

Sur la table de chevet
Ce matin j'ai trouvé ton mot
Ta carte de réfugiée
Déchirée en mille morceaux

T'as marché toute la nuit
A Saint Michel sur les quais
Il faisait beau comme au pays
T'as regardé le ciel. Tu disais :

«J'ai vu dans la voie lactée
L'espoir qui me faisait signe
Je rentre. Tout n'est pas bouché
Je veux revoir les copines.»

Mais tous ces hommes perdront
Un jour ou l'autre. C'est certain
Révolte et révolution
Seront toujours des mots féminins

© 1994